Capitalisme, désir et servitude

Frédéric Lordon

Dans ce court essai, Frédéric Lordon s'emploie à appliquer les théories spinozistes du désir à la critique du capitalisme de manière claire mais assez théorique.

Capitalisme, désir et servitude

Quelques mots sur l'auteur. Frédéric Lordon est un économiste français né le 15 janvier 1962.

Il est directeur de recherche au CNRS et chercheur au Centre de sociologie européenne. Il est membre du collectif Les économistes atterrés.

Ses travaux comportent notamment un programme de recherche « spinoziste » en sciences sociales et en sociologie économique. Il vise à rapprocher étroitement la science économique de la sociologie.

Il décrit sa position dans le champ des sciences économiques comme « hétérodoxe » et, ce faisant, partage les thèses de l'école régulationniste et particulièrement celles qui posent le caractère ontologique des luttes au sein des faits sociaux. Il fait sienne la formule de Michel Foucault selon laquelle « la politique est la guerre continuée par d'autres moyens », paraphrase retournée de la formule de Clausewitz : « la guerre est la continuation de la politique par d'autres moyens. »

Il réinterprète le conatus spinoziste afin de se dégager de l'emprise du structuralisme althusserien et réintroduire la dimension de l'action des individus-sujets au cœur des rapports sociaux et des sociétés. Considérés comme des élans de puissance, les individus spinozistes sont déterminés par des affects extérieurs qui orientent leur comportement. Lordon oppose cette thèse à l’humanisme subjectiviste autodéterminé qui forme le cœur de l’imaginaire néolibéral11.

Il participe au Manifeste d'économistes atterrés12 et soutient les Rencontres déconnomiques auxquelles il participe activement en 201213. Au printemps 2016, il intervient à de nombreuses reprises dans le cadre du mouvement Nuit Debout.

Pitch. Comment un certain désir s'y prend-il pour impliquer des puissances tierces dans ses entreprises ? C'est le problème de ce qu'on appellera en toute généralité le patronat, conçu comme un rapport social d'enrôlement. Marx a presque tout dit des structures sociales de la forme capitaliste du patronat et de l'enrôlement salarial. Moins de la diversité des régimes d'affects qui pouvaient s'y couler. Car le capital a fait du chemin depuis les affects tristes de la coercition brute. Et le voilà maintenant qui voudrait des salariés contents, c'est-à-dire qui désireraient conformément à son désir à lui. Pour mieux convertir en travail la force de travail il s'en prend donc désormais aux désirs et aux affects.

L'enrôlement des puissances salariales entre dans un nouveau régime et le capitalisme expérimente un nouvel art de faire marcher les salariés. Compléter le structuralisme marxien des rapports par une anthropologie spinoziste de la puissance et des passions offre alors l'occasion de reprendre à nouveaux frais les notions d'aliénation, d'exploitation et de domination que le capitalisme voudrait dissoudre dans les consentements du salariat joyeux. Et peut-être de prendre une autre perspective sur la possibilité de son dépassement.

Ce que j'en ai pensé. Sans trop connaître Spinoza, on peut parfaitement rentrer dans ce court essai. Le propos est très clair, même s'il vaut mieux ne pas trop se laisser distraire par ailleurs. Le découpage en courts chapitres, une à deux pages, permet à l'auteur de synthétiser une idée sans digression et au lecteur de mieux l'apréhender. L'objectif, qui est de faire passer un message plus que d'exposer une théorie scientifique, est donc parfaitement atteint.

On retient donc que tout est fait pour mettre l'employé en état de servitude volontaire en jouant sur le désir. L'idée semble tout à fait intuitive et l'auteur complète en mixant la théorie philosophique du désir de Spinoza avec les idées marxiste de la production de capital. L'ensemble est tout à fait convaincant, notamment le fait que les rapports de forces et le jeu sur le désir sont des conséquences logiques et inévitables de la maximisation du capital et non une volonté consciente de nuisance ou de puissance.

Une lecture tout à fait salutaire et nécessaire en ces temps troublés.

diaspora*
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